Le lendemain nous nous rendons dans ce fameux lit de rivière asséché et croisons beaucoup d’indices de la présence des éléphants (traces, bouses,…) Nous sommes donc optimistes à l’idée d’en croiser plusieurs. Bien que le lit de rivière soit un peu leur garde manger, les éléphants du désert et leurs pattes plus fines que leur cousin des plaines peuvent parcourir jusqu’à 60km pour se nourrir. Ceci explique peut-être que nous en ayons vu qu’un seul broutant au calme, après trois longues heures de recherches intensives. Remotivé par cette rencontre, nous poursuivons un peu notre chemin dans le lit du fleuve en espérant croiser d’autres pachydermes. A tel point que nous nous en oublions même de rejoindre la piste que Louis nous avait indiquée. Au bout de quelques instants nous quittons le sable pour une zone beaucoup plus humide, marécageuse même, où poussent des bambous. Nous commençons à franchir quelques petites flaques qui ne nous inquiètent pas plus que ça, puis finissons par renoncer devant une très grosse flaque sans sortie. Nous empruntons donc un autre chemin, tout aussi boueux au milieu des bambous, jusqu’à ce que la quantité de boue me surprenne à la sortie d’un virage dans lequel j’étais engagé et où je ne voulais pas m’arrêter. On tente de passer et…
Ça ne passe pas !
Il est 12h et nous voilà
donc bloqués dans la boue, un joli mélange de glaise, d’argile et
de flotte. Un truc qui colle bien donc ! Deux roues sont
largement embourbées, quasi jusqu’à la moitié et la voiture
repose sur son châssis au milieu. On pense tout de même pouvoir
s’en sortir seuls et rapidement. Je reste sagement au volant en
écoutant les instructions des copains qui tentent de dégager les
roues embourbées. Deux heures plus tard, Quentin et Valentin se
proposent d’aller chercher de l’aide tandis que nous continuerons
d’essayer de dégager les roues. Bien que nous soyons entourés
d’eau, la région est relativement désertique et asséchée. Nous
leurs donnons donc un maximum d’eau pour tenir jusqu’au lendemain
si besoin.
Par miracle ils ont
croisé le 4x4 d’une famille française qui réalisait le même
parcours que nous, mis à part qu’eux étaient équipés d’un GPS
leur indiquant une zone marécageuse là où nous étions. Dommage !
Après être venus constater notre situation, la famille à bien
voulu les conduire au camp où ils ont prévu de passer la nuit, mais
pas à Uis (la grande ville d’où nous venions se situant à
quelques 100kms et là où il aurait été facile de trouver de
l’aide). Une main tendue ne se refuse pas ! Les garçons
acceptent et après une longue route avec les enfants sur les genoux,
ils se retrouvent à la tombée de la nuit dans un camp au milieu de
nulle part.
Là, Quentin prend les
choses en main en expliquant à l’accueil la situation et en
demandant les solutions envisageables. Elles sont peu nombreuses :
pas de moyen de locomotion, pas de téléphone et de toute façon
aucun numéro utile à appeler. Le gars essaye quand même d’appeler
son patron… sans succès. Quentin et Valentin retournent voir les
français qui leur donne leur position GPS, sait-on jamais. Une
douche bien méritée avant de négocier une nuit dans le mini musée
de conservation des rhinos, sur des lits de camp, au beau milieu des
crânes La classe ! En nous sachant perdus au beau milieu d’’un
marécage pour la nuit, la leur n'a pas été de tout repos.
Pendant ce temps-là, à
la voiture, nous avions creusé jusqu’à la nuit tombée avant de
nous rincer un minimum et de nous enfermer dans la voiture pour la
soirée. Au programme : bières, vin, un peu de maïs et un bon
film. Ou comment passer une bonne soirée avec deux potes et coincés
dans un marécage. Après avoir presque bien dormi à trois dans la
voiture, nous avons été réveillés par la chaleur. Nous nous
sommes vite remis au travail, en dégageant les roues à la main, à
la pelle-bêche (qui cassera vite) et à l’aide du cric, de bois et
de pierres. Nous avançons à pas de fourmi, et chaque tentative pour
sortir la voiture semble creuser encore un peu plus dans la boue. Et,
plus le temps passe, plus nos réserves d’eau diminuent… Nous
espérons vraiment les voir vers midi.
Du côté de nos (futurs)
sauveurs, Quentin et Valentin : ils se sont levés à l’aube,
ont essayé de trouver une solution avec le gars de l’accueil et
finalement pris une décision : marcher les 10kms qui les
séparent du grand carrefour où passe la route pour Uis, et d’où
ils pourront apparemment facilement se faire prendre en stop. Avec
sept litres d’eau (au goût immonde) sur eux, ils vont marcher deux
heures sous la chaleur assommante, marquant leur chemin avec des
pierres. Ils sont absolument tout seuls si on ignore les oryx, les
autruches et les springboks qu’ils ont croisés. Ça aurait été
beaucoup moins drôle s’ils n’avaient pas aperçu des empreintes
de lion… Heureusement pour tout le monde, le lion dort la journée
et chasse la nuit. Ouf ! Une fois au carrefour, ils attendent…
encore et encore… pendant une heure… jusqu’à avoir
l’impression de perdre leur temps et ils finissent par rebrousser
chemin, à pied. Leur retour fût un calvaire, Val’ est à bout, il
a une insolation, il perd ses forces et a la nausée… Il lui
devient de plus en plus dur d’avancer. Bien sûr, grâce au soutien
de Quentin, ils arriveront à rentrer, et Val’ filera sous la
douche avant de s’endormir juste après. Ils se verront même
offrir des conserves de pâté, qu'ils dégusteront avec le plus
grand bonheur. Finalement, vers 13h, Quentin arrive à joindre le
patron avec le téléphone satellite, et celui-ci contact des
dépanneurs. Ils arriveront au camp vers 17h. De l’AIDE !
YOUPI !
Les deux dépanneurs,
Trévor et Roméo (les prénoms ont été changés parce qu’on a
rien compris !) possèdent un vieux pick-up tout déglingué,
avec un moteur qui déchire. Tout simplement ! Trévor semble
être le chef, (le blanc en plus…) avec sa gueule marquée par la
vie et des bras et des mains de titans. Roméo, le black, est plus
jeune, et semble être plus ou moins l’apprenti. Ces deux-là
embarquent Quentin dans la cabine et Val dans la benne. Guidé par
Quentin qui n’avait fait la « route » qu’une seule
fois, ils rouleront à tout burlingue, en absorbant toutes les
bosses, (là où nous roulions à 20 km/h la veille), en vérifiant
que Val était toujours derrière, bien accroché. En plein rallye,
ils ont tout de même voulu faire une pause pour… shooter des
suricates ! Il semblerait que la technique soit simplement de
jeter des pierres dans le terrier. Sans vrai succès ! Mais au
moins, cette étonnante envie soudaine, a un peu détendu et amusé
Quentin et Valentin.
Environ 19h : Romain
entend un vrombissement au loin, qui s’intensifie de plus en plus,
puis des lueurs dans le ciel. Pas de doute ce sont des phares !
Une voiture ici, à cette heure-ci, ça ne peut être qu’eux !
Wouhouuuuuu !! Nous voilà tous réunis ! Il était temps !
A la voiture, cette
après-midi-là, nous avons encore essayé de dégager notre
carrosse, sans succès forcément. Nos mains et nos ongles nous font
mal, nos genoux sont écorchés, nous sommes atrocement sales, et de
plus en plus fatigués par la chaleur et le manque d’eau. A midi,
nous nous offrons une pause pour manger une conserve de maïs avec
son eau que l’on boit avec grand plaisir.
Cette après-midi-là,
voyant qu’il ne nous restait plus qu’un litre d’eau, j’ai
décidé de tenter ma chance en rebroussant chemin dans le lit de la
rivière en espérant croiser une voiture qui voudra bien remplir
d’eau mon bidon vide de 5 litres. Une fois sorti de la zone
marécageuse, il fait encore bien plus chaud, et j’ai vraiment
l’impression de traîner mon corps de zone d’ombre en zone
d’ombre. Je regarde mes pieds, et je m’aperçois que je suis bien
le seul à laisser mes empreintes de pas ici, si ce n’est toutes
les empreintes animales que nous n’avions pas forcément vues en
voiture : gazelles et gros félins ! Peu importe, ce n’est
l’heure de dîner pour personne ! Je reste tout de même
attentif au moindre bruit de voiture (ou d’animaux) qui pourrait se
trouver dans le coin. Je marche durant une heure, jusqu'à l'endroit
où nous avions croisé l’éléphant. Il ne semble plus être là,
du moins je ne le vois pas. Aucune trace de vie humaine, malgré mes
« Hého ! » occasionnels. Aucune réponse ! Il
faut que je garde assez de forces pour pouvoir rentrer sans eau,
alors j’entreprends le chemin inverse. Je ne croiserai personne non
plus mis à part un couple de grand kudu. Nous nous sommes regardés,
comme si nous nous disions « On ne se veut pas de mal, chacun
veut partir de son côté ! ». C’est ce qui se passa. Me
voilà donc de retour à la voiture, assoiffé et sans eau, mes
lèvres sont sèches et blanches !
A cet instant, je me
motive à essayer de faire de l’eau potable. Nous sommes dans des
marécages donc de l’eau, il y en a,… mais elle stagne et
accueille même parfois un peu de vie. Qui ne tente rien n’a rien,
je prends une conserve, récolte le dessus des flaques d’eau (là
où elle est censé être la plus claire), la renifle et en goutte
une micro gorgée : c’est de bonne augure, elle est inodore,
incolore, et malgré son aspect sirupeuse, elle n’a pas un goût
affreux. Pourtant, après l’avoir mise à bouillir sur notre gaz,
pour en éliminer toutes les bactéries, elle se transforme en une
solution blanchâtre à la l’odeur nauséabonde ! Raté !
Nous ne boirons pas cette chose !
Comme un miracle c’est
à ce moment-là (19h) que les dépanneurs sont arrivés avec Quentin
et Valentin. Enfin sauvés !
Mais ce n’est que le
début, puisqu’il faut encore sortir notre voiture de là !
Mais les pros prennent les choses en main. Trévor et Roméo sortent
du vrai matos, des crics de garages, une vraie pelle, des planches de
3m de long et une énorme corde. Ils constatent la misère dans
laquelle je nous ai mis et commence à s’y mettre. Ils soulèvent
la voiture avec le cric en appui sur les planches, comblent les trous
avec des pierres et on recommence. Les mecs sont efficaces !
Nous, nous les aidons comme nous le pouvons, en les éclairant, en
allant chercher des pierres et en leur offrant des clopes de temps en
temps. En 10 minutes ils sont dégueulasses, nos frontales que nous
leur prêtons aussi, mais ils en ont plus fait que nous en toute une
journée. Le respect s’impose ! Allez, premier essai pour
sortir la voiture de là, une grosse corde tendue entre les deux 4x4,
leur pick-up s’élance en libérant tous ses chevaux d’un coup
et… CRAC ! La corde se rompt, et vient enfoncer l’arrière
du coffre de notre voiture qui n’a pas bougée… Peu importe, nous
ne sommes plus à ça prêt !
Quelques coups de crics
et de pelles plus tard, nouvel essai. C’est le bond !!! Notre
voiture se fait traîner sur quelques mètres par le puissant pick-up
pour nous sortir complètement de la boue. On crie HOURRA !!!
Trévor prend le volant, pour faire la marche arrière délicate et
nous sortir définitivement de ce pétrin. Et là, malheur, alors que
Quentin lui dit de faire attention au trou de boue que nous avions
évité à l’aller, Trévor n’y prête pas attention et plante la
voiture dedans… ET M*RDE !
Bon, ben on recommence
les manœuvres crics, planches, pelles, pierres et pendant de longues
heures, nous essaierons diverses solutions : avec quelqu’un au
volant ou non, en poussant ou pas… Nous y passerons beaucoup plus
de temps que la première fois. A tel point qu’au bout de quelques
essais ratés, Trévor nous annonce qu’il n’a plus d’idée mais
qu’il tente une dernière fois avant qu’on aille tous passer la
nuit quelque-part au sec pour revenir demain. On y croit encore un
peu !
Le pick-up s’élance,
commence à entraîner la voiture, mais pas suffisamment pour
franchir le haut du trou dans lequel elle est. Au second élan, on se
met tous derrière pour la maintenir en position et Roméo demande à
Trévor de remettre les gaz rapidement. Il s’exécute et la voiture
bondit hors de son trou ! Cette fois c’est la bonne ! Il
est 22h, et après plus de 30h coincés, nous quittons l’enfer !
De nouveau tous les cinq
dans le 4x4, nous devons suivre Trévor jusqu’à la prochaine
grande ville pour les payer. Notre convoi se lance donc dans la nuit
à la recherche des pistes qui nous ramèneront à Uis, et sans GPS
ce n’est pas évident. Minuit arrive, et Trévor finit par demander
notre chemin dans un camp en réveillant un mec dans l'une des deux
pauvres tentes plantées là. Pour en rajouter encore un peu, nos
amis ont cassé une pièce sur leur pick-up qui les empêche de
rouler à plus de 30km/h…
Donc à 3h du mat’, nous sommes
toujours sur des pistes et on finit par demander à dormir à côté
du camp d’un ferrailleur et chercheur de belles pierres.
Le réveil sonne à 6h,
les gars sont debout depuis un bon moment apparemment, malgré une
nuit coincés à deux dans leur voiture. Ils finissent de scier et
souder une rapide réparation pour leur 4x4 afin de pouvoir rouler
correctement. On partage quelques tartines avec eux pour le p’tit
déj’ avant de prendre la bonne route, indiquée par le chef
des lieux !
Cette sale aventure se
terminera finalement à 10h, à Henties Bay, à une centaine de
kilomètres au sud d’Uis (puisque aucun distributeur ne
fonctionnait à Uis). On paye notre sauvetage avec même un petit
pourboire pour nos deux secouristes qui y ont vraiment laissé de
leur personne. Puis, « carwash » pour la voiture, un
resto pour nous, une nuit dans un camp avec une bonne douche
chaude et une nuit AU SEC TOUS ENSEMBLE !
Voilà comment une bonne
grosse galère qui laisse des traces, est un sacré souvenir !
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