lundi 13 avril 2015

Phnom Penh

Souo Sadai (bonjour en Cambodgien)

Arrivés tôt grâce à notre bus de nuit, une fois notre hôtel trouvé, nous avons directement pu partir à la découverte de la ville.

On ne peut pas vraiment dire que ce soit très « agréable » de se balader dans les rues de Phnom Penh. La plupart sont surchargées, le trafic routier est un désordre total, les trottoirs sont envahis de tout et n’importe qui (resto, vendeurs ambulant, tuk-tuk ou scooter stationnés, poubelles, etc…) vous obligeant souvent à marcher sur la route. Toutefois, ce qui reste drôle c’est l’imagination des Cambodgiens en ce qui concerne le transport : 5 sur un scooter (en sachant que l’âge minimum pour en conduire un semble être « quand les pieds touchent l’embrayage »… 10 ans donc…), des scooters avec 10 packs de bières coincés entre le conducteur et le guidon, ou des barres d’acier de 6m pendant à l’arrière, ou encore un passager tenant un pare-brise. Dans la catégorie 4 roues nous avons vu des mini-bus REMPLIS à ras-bord d’ananas, des mini-vans toujours, remplis aux quatre tiers avec encore un mec sur le toit pour tenir l’étagère qui ne voulait pas rentrer,  etc… Le tout dans une circulation anarchique ou tout est autorisé, et où la seule règle semble être « chacun pour soi ». Traverser une avenue à pied peut vite devenir un challenge.


L’après-midi, afin de compléter notre visite des temples d’Angkor, nous avons décidé de nous rendre dans un endroit beaucoup plus calme, le musée national des beaux-arts. En effet, grâce à la visite guidée que nous avons décidé de faire, et du nombre de reliques provenant de ce merveilleux site, nous avons pu anckor en apprendre un peu plus ! Par exemple, c’est ici que se trouve une copie du  linteau dérobé par Malraux. Nous avons aussi appris que lorsque dans une même famille hindouiste, certains souhaitent vénérer Shiva et d’autres Brahma, alors on se mettait d’accord sur une seule divinité composée à moitié de Shiva et à moitié de Brahma… d’où une statue avec un visage et une coiffe divisés en deux et travaillés différemment. Plutôt simple non ? Nous avons aussi pu voir la cabine de la barge royale, retrouvée dans le Tonlé Sap, le plus grand lac d’Asie du sud-est, véritable poumon vert et cœur du Cambodge. Une autre pièce intéressante est une grande urne funéraire dans laquelle était incinéré le roi défunt en position fœtale (ce qui oblige à sectionner les tendons !?) avant la cérémonie funéraire royale. Toutefois, elle n’a servi que deux fois.

La journée suivante fût chargée en visites et encore plus en émotion. Nous avons prévu de consacrer une journée entière pour essayer de comprendre le génocide enduré pendant les 3 ans, 8 mois et 20 jours de cauchemar et d’atrocités subies par le peuple Cambodgien sous le régime de Pol Pot.

Dans le but de mieux comprendre la suite de cet article et peut-être de vous faire découvrir une partie de l’histoire traumatisante de ce pays, voici un « bref » résumé de la situation cambodgienne entre 1975 et 1979.

En 1966, Sihanouk, chef d’état socialiste, voit le général Lon Nol accéder au poste de 1er ministre, soutenu par l’armée et la bourgeoisie de Phnom Penh, qui ont peur de la montée en puissance du socialisme. Sihanouk forme alors un « contre gouvernement », qui engendrera une totale anarchie dans le pays, suivie de conflits. Des groupes prosocialistes, appelés « Kmers rouges » par Sihanouk se réfugient dans les maquis et combattent les troupes gouvernementales. En 1970, le coup d’Etat d’un nouveau gouvernement encouragé par la CIA, destitue Sihanouk de ses fonctions, et invite le peuple cambodgien à la résistance. Ces derniers rejoignent les Khmers Rouges dans les maquis alors que le reste de la population se réfugie à la capitale, Phnom Penh. Les quatre années suivantes ne sont que guérillas et se finissent en 1975, lorsque la résistance, qui a déjà repris toutes les campagnes, reprend la capitale. Puis, rapidement, prétextant des bombardements américains imminents les « libérateurs » ordonnent à TOUS les habitants (nouveaux-nés, vieillards,…) de quitter la ville pour gagner les rizières afin d’assurer l’autosuffisance du pays (pays désormais appelé « Kampuchéa Démocratique »). L’Angkar, la nouvelle organisation suprême des Khmers rouges, en fait de même pour toutes les villes du pays. C’est « l’année zéro » !

« Il est plus facile de tuer un innocent par erreur que de laisser vivre un ennemi »


La population de la capitale (soit 2,5 millions de personnes à ce moment-là) puis, peu après, celle de toutes les villes du pays sont déportées en trois groupes : les militaires, représentant une menace potentielle, sont purement exécutés. Les « intellectuels » (en fait toute personne portant des lunettes, parlant une langue étrangère ou semblant juste être dotée d’un soupçon d’intelligence…) sont déportés, torturés jusqu’à ce qu’ils avouent une (fausse) liaison avec la CIA ou le KGB, et finalement exécutés dans des « villages spéciaux » (comme la prison S21 que nous avons visitée). Enfin, les autres, étant considérés comme « le peuple de base » sont conduit de force dans les rizières de leur village natal, et réduits au rang d’esclaves sous-alimentés, travaillant la terre à mains nues 12h par jour. Ceux qui ne sont pas exécutés se tuent rapidement à la tâche, exposés aux maladies et au soleil.

La prison S21 justement est en fait un lycée, abandonné et vidé comme beaucoup d’édifices publics ou religieux (hôpitaux, pagodes, etc…) Les bonzes et la communauté musulmane Cham sont eux aussi massacrés.


« A l’image d’un arbre, il faut attaquer le problème (le suspect) à la racine, (la famille donc, nouveaux nés compris) »


Pour encore plus de cruauté, quand un « suspect » est arrêté et exécuté, c’est très souvent aussi le sort de toute sa famille, femmes, enfants et vieillards compris… Les bébés sont tués, projetés contre les arbres, et les autres la nuque fracassée à la barre de fer ou à la pioche, par souci d’économie de munitions.

« D’où que vous veniez, imaginez que l’on exécute une personne sur quatre de votre pays »

La prison S21 ne pouvant contenir prisonniers et cadavres, et la macabre cadence augmentant affreusement, la décision est prise de déplacer le lieu d’exécution à  15km de là, sur le site de Choeung Eku, appelé aussi Killing Fields de nos jours, que nous avons aussi visité. Mais ce camp, qui comptera finalement près de 16 000 corps, n’en est malheureusement qu’un parmi beaucoup d’autres et les corps s’entassent dans les fausses communes aux quatre coins du pays. On estime à près de deux millions le nombre de victimes des Khmers Rouges.

Derrière ces abominables faits, se cache (parmi d’autres) un homme aux initiales marquantes, « S.S. », se fait appeler Pol Pot, et est un grand admirateur de Staline et ho surprise… d’Hitler !! En 1976 il accède au poste de premier ministre et met en place ses atrocités, à l’aide d’adolescents (endoctrinés plus facilement) issus des campagnes, et déjà réticents au pouvoir de Phnom Penh. Le personnage qui a marqué la prison de la capitale est sans aucun doute Duch, le tortionnaire en chef, directement responsable de plusieurs milliers de morts.


Seules 7 personnes sont sorties vivantes de la prison  S21 : parmi eux des enfants chanceux et des hommes ayant eu l’opportunité de pouvoir apporter quelque chose aux bourreaux en l’échange d’un peu de confort (nourriture suffisante, cellule personnelle, etc…) et surtout de la vie : par exemple, un dénommé Nath, peignait des portraits des grands responsables. Plus tard, il dessinera de mémoire des scènes marquantes de la « vie » en prison.

Finalement, c’est en 1978 que les Khmers Rouges, menaçant la frontière Vietnamienne sont chassés du Cambodge par l’armée voisine.

Ce n’est que début 2009 que s’est finalement ouvert le procès des khmers rouges, avec seulement cinq inculpés, certains ayant trouvé la mort depuis, comme Pol Pot en 1998. Après une première condamnation de 35 ans en 2010, c’est lors de l’appel en 2012 que Duch écope de la prison à perpétuité. C’est le premier verdict définitif de ces procès. Sur les quatre autres inculpés, un est mort en 2013 avant son procès (ancien vice-premier ministre du régime) et une autre (sa femme, ministre aussi) a été jugée inapte à endosser une condamnation pour trouble neurologiques. Enfin, les deux autres vieillards encore en vie, le bras droit de Pol Pot ainsi que le président de l’époque ont eu le droit (à la vue du nombre de chefs d’inculpations) à une procédure en 2 procès, afin qu’un verdict soit prononcé avant leur mort. Le premier verdict pour ces responsables de premier rang est tombé en Aout 2014 : prison à perpétuité ! Le second procès piétinait depuis des mois mais a repris en ce début d’année 2015. Affaire à suivre…. même 35ans après les drames !


En ce qui concerne nos visites nous avons tout d’abord commencé par le centre de ressources audiovisuelles Bophana, tout proche de notre hôtel, où il est possible de visionner plusieurs films à ce sujet. Nous en choisissons un, intitulé « Bophana une tragédie Cambodgienne » et portant malheureusement bien son titre… L’histoire vraie, tirée de confessions écrites, d’une femme et de son mari, déportés puis exécutés au camp S21.

 

Ensuite, nous sommes allés dans cette prison tristement célèbre, désormais transformée en musée. On a pu découvrir ces murs et ces minuscules cellules ayant accueillis des tas d’innocents, ces grandes salles vides dans lesquelles une quarantaine de détenus étaient entassés, où parfois dans lesquelles seul un lit de torture se trouvait… La grande majorité des balcons étaient fermés par des barbelés, afin d’éviter les suicides. Dans un autre bâtiment, des milliers de portraits de détenus photographiés à leur arrivée pour tenir un registre des arrivées et des « départs ». Certains étaient légendés de l’histoire de leur déportation faite par leurs proches. Poignant !




On a aussi pu admirer les peintures marquantes, presque choquantes (bien que moins réaliste qu’une photo) de Nath, l’un des sept survivants. On y découvre les différents moyens de tortures, fouet, noyade, arrachage des ongles, etc… Et aussi un autoportrait, dans sa petite cellule. Marquant !

Dans une autre salle encore, on voit comment d’ancien Khmers Rouges ont réussi à réintégrer une vie normale après cette tragique période. Certains sont devenus piroguiers ou agriculteurs, d’autres sont restées mères de famille. Sans doute une expo dans l’espoir d’une réconciliation du peuple cambodgien.


Puis nous avons parcouru la route que de trop nombreux prisonniers n’ont emprunté que dans un seul sens, celle qui mène jusqu’au camp d’extermination de Choeung Ek, appelé aussi Killing Fields.


Ici, les condamnés étaient exécutés de façon barbare, à coup de crosse ou de barre de fer, avant d’être entassés dans des fosses communes. Des chants communistes étaient diffusés suffisamment fort pour couvrir les cris des exécutés et ne pas effrayer les nouveaux arrivants. Les ossements de près de 9000 personnes ont été mis au jour, ne représentant que la moitié des corps enfouis. La pluie fait encore parfois remonter vêtements et ossements. Un grand mémorial a été érigé pour accueillir les crânes sortis de terre… et est rapidement devenu plein.


Voilà, c’est peut-être un peu violent pour découvrir une partie de l’histoire d’un pays, mais c’est certainement aussi la meilleure façon de se rendre compte de ce que le pays a enduré, et que cela ne soit jamais oublié.

Après une semaine passée (encore) bien trop rapidement, demain, nous quittons ce fabuleux pays qu’est le Cambodge pour le Vietnam.

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